mercredi 16 avril 2008

6) Le Fascisme aujourd'hui



Le mot « fasciste » est devenu de nos jours une véritable tarte à la crème, qu’on lance n’importe quand à la figure de n’importe qui. Un jeune politicien québécois, Mario Dumont, a goûté récemment à cette médecine de charlatan. L’ubiquité du fascisme n’est cependant pas un phénomène nouveau :

The emotional content of this word has for a long time contributed to obscuring a political concept that was never in the first place very clear. When Mussolini and Leon Blum, Franklin D. Roosevelt, Franco and Joss Antonio, Codreanu, Piludsky, Henri de Man, Joseph McCarthy, Charles de Gaulle have each and all in their turn been labelled fascists, what then could fascism signify ? (1).


En effet. Quand il voulut décrire la situation qui prévalait pendant la Guerre d’Espagne, George Orwell, qui avait l’expérience du terrain et qui savait à quoi s’en tenir, se sentit obligé, pour bien montrer les menaces qui pesaient sur les Espagnols, de définir le combat entre les franquistes soutenus par Hitler et les républicains soutenus par Staline comme un combat entre deux fascismes.

Définir le communisme comme une forme de fascisme est évidemment une solution un peu facile. Car s’il existe de nombreuses ressemblances entre les deux régimes, (leur histoire respective démontre, par exemple, qu’ils sont aussi oppresseurs et meurtriers l’un que l’autre) (
2), les différences sont également tout aussi importantes.

Pourtant, même à qui n’ignore pas ces distinctions essentielles, il demeure tentant, pour flétrir les communistes, d’utiliser l’injure suprême, celle qui consiste à les traiter de fascistes ! Car le fascisme seul marque d’un stigmate indélébile le dictateur, l’écrivain, le politicien, le simple quidam. Du moins sous nos cieux cléments.

Il n’en est évidemment pas de même en Roumanie ou en Hongrie, par exemple, pays où ont sévi les deux formes de totalitarisme. Dans ces contrées-là, le communisme est plus honni que le nazisme. Et on y banalise parfois la Shoah en lui opposant ce qu’on appelle là-bas l’holocauste rouge. Ces débats ne nous concernent que fort peu.

Qu’en est-il aujourd’hui du fascisme au Québec ? Question difficile, à laquelle je tenterai de répondre par la bande.

Si l’on s’en tient à la définition donnée au début le l’ouvrage de Mme Delisle, l’imprégnation fasciste, c’est « la volonté de rupture de l’ordre libéral ». Comment ne pas conclure de là que le fascisme menace encore ? Quelle forme prend-il ? Le fascisme est un virus mutant. Risquons quand même une réponse.

L’imprégnation fasciste se manifeste à travers un discours critique et une agitation groupusculaire, à travers également un nihilisme impuissant dont l’ultime ressource est d’applaudir quiconque attaque par n’importe quel moyen le néolibéralisme, la civilisation occidentale, le Grand Satan américain.

On sait ce qu’on hait, on a identifié ce qu’on veut détruire : le néolibéralisme et l’impérialisme états-unien ; mais on n’a rien à proposer (pour le moment : le fascisme de demain étant encore en construction) comme solution de rechange (à supposer qu’une solution soit recherchée). Car les leçons du XXe siècle ayant tout de même porté fruit, ni le fascisme ni le communisme proprement dits ne peuvent habiter le monde idéal rêvé par ceux qui travaillent à détruire notre monde pourri.

Je laisserai donc à ceux que le fascisme imprègne la tâche de définir et de fonder le fascisme nouveau qui succédera aux fascismes anciens. Il reste que certains prodromes se manifestent en certains milieux. Ils donnent un avant-goût de la forme que prendra le fascisme lorsque le virus anti-libéral, qui provoque la maladie, aura achevé sa mutation.

Ces anecdotes, ces incidents, ces crises d’urticaire permettent, même à un observateur n’ayant pas terminé sa quatrième année du cours primaire, d’affirmer que ces petits faits sont les signesavant-coureurs du fascisme à venir :

1 - La présence parmi les manifestants pacifiques, à chaque fois qu’un organisme international tente de se réunir, de fanatiques qui tentent d’empêcher par le saccage que n’aient lieu les réunions où les chefs d’états et/ou leurs représentants pourraient s’entendre sur des moyens d’empêcher que ne soit que sauvage le phénomène de la globalisation.

2 - Le discours même des manifestants et conférenciers pacifiques, qui n’en ont que contre le néolibéralisme et le Grand Satan. Ah oui ! J’oubliais ! Et contre le seul État fasciste de la planète (en dehors des États-Unis) : Israël.

3 - Les applaudissements, les hourras, les bravos, les bis ! des chiens édentés quand s’effondrent sur des Américains des tours américaines ou que se suicide à la dynamite, dans un autobus israélien, un kamikaze palestinien.

C’est arrivé à Montréal le 11 septembre 2001 ! Des étudiants en anthropologie sont réunis dans un local. La télévision est allumée, s’effondre en direct la deuxième tour du World Trade Center. Salve d’applaudissements, transports de joie.

Dans les jours qui suivent,constatation étonnée, par un professeur de science politique, que la capacité d’analyse des événements en cours par ses étudiants de première et deuxième années est à peu près nulle. Elle se limite à la simple éructation d’un antiaméricanisme à la fois viscéral et mal articulé. On dirait des saoûlons de taverne réglant le sort de la planète entre la première et la deuxième période d’un match Canadiens-Bruins. Sauf qu’ils n’ont pas l’excuse d’être saoûls !

Les discussions qui ont lieu à l’université au sein du corps professoral et entre professeurs et étudiants, confirment la première impression du prof interloqué : une majorité d’étudiants (pas tous, heureusement) est incapable d’une autre analyse que le sermon anti-libéral et antiaméricain entendu de la bouche des auditeurs politisés dans les lignes ouvertes de la radio d’État.

C’est dire la faiblesse du discours. Et ici, le mot discours est flatteur ! Ce que j’appelle ici discours s’apparente plutôt à la simple répétition par un perroquet bien dressé de formules stéréotypées apprises par coeur. Mais apprises où et de qui ? À l’université même ?

Sans doute pas. Ces jeunes hommes et jeunes femmes né(e)s un peu avant ou un peu après 1980, et probablement élevé(e)s dans de bonnes familles (reconstituées ou pas) par des parents en général assez instruits nés entre 1940 et 1960, ne font sans doute que régurgiter dans les salles de cours et à la cafétéria les idées sommaires diluées naguère dans le lait maternel, les opinions mélangées jadis à la panade que papa leur présentait dans une petite cuillère.

C’est donc encore la faute des baby-boomers ! Simple supposition... Peut-être ces jeunes têtes sont-elles arrivées à l’université vierges et pures de tout préjugé et n’ont-elles acquis leur vision du monde qu’au contact de doctes mentors. C’est possible aussi, en effet. Car il se trouve malheureusement, parmi le corps professoral, des têtes achevées qui s’avèrent tout aussi bornées que les têtes estudiantines.

N’est-ce pas qu’elles nous promettent un avenir radieux, l’anthropologie et la science politique telles qu’elles sont enseignées et étudiées à l’Université de Montréal en ce début de vingt et unième siècle ? Cette même université où, il y a soixante ans, un futur et éphémère lieutenant-gouverneur dessinait des croix gammées !

Que dessinent aujourd’hui sur les murs ou sur leurs jeans troués les étudiants en anthropologie ou en science politique de l’Université de Montréal : faucilles et marteaux, swastikas, croissants, têtes de morts ? Ne nous prononçons pas : laissons plutôt les jeunes fachos choisir eux-mêmes, sous l’égide de leurs mentors, le nouveau symbole du fascisme bébête qu’ils préparent aujourd’hui pour le Québec de demain.

Mais j’annonce à tous ces jeunes crétins et à leurs mentors qu’ils vont faire patate ! Car le Québec ne se reconnaîtra pas dans ces gens-là qui n’accèdent au haut savoir que pour mieux s’avilir dans la bêtise. Non, il ne faut pas compter sur les imbéciles instruits pour diagnostiquer les maux de notre petite planète, encore moins pour y apporter les bons remèdes.

À l’époque des incidents racontés dans Heil Christ !, par qui la vérité, la droiture, le simple sens commun furent-ils défendus ? Par un adolescent, par des journalistes de Montréal-matin et de La Presse, par des éditorialistes des mêmes journaux, par l’écrivain Roch Carrier, par le Conseil du travail de Montréal. Parmi tous ces gens-là, il y en a deux à qui je veux rendre hommage.

Tout d’abord Lucien Langlois, devant lequel je m’incline bien bas tout en me confondant en excuses pour le dédain que j’éprouvais à l’époque (jeune homme infatué aux goûts soi-disant raffinés) pour son journal, le Montréal-matin, qui avait appartenu et qui appartenait peut-être encore au parti de la Grande Noirceur, l’Union nationale. Je retiendrai la leçon : la vérité ne loge pas toujours dans les lieux les plus chics derrière les enseignes les plus prestigieuses.

Et finalement, Jean-Louis Gagnon, qui écrivait lui aussi, à cemoment-là, dans un journal populiste, en l’occurence Le Journal de Montréal. Je vous salue, M.Gagnon. Et je terminerai cette trop longue postface en vous citant :

« En définitive, la droite québécoise aura donné naissance à un fascisme de gauche dont on ne verra la fin que le jour où, dans les écoles, on cessera de combattre, par mille et un moyens, la démocratie parlementaire et les droits de l’homme. »

Dans les écoles, écriviez-vous, M. Gagnon. Sauf votre respect, je me permettrai de préciser : dans les universités !


Pierre K. Malouf

[1] Zeev Sternell, Fascism. A Reader’s Guide, Berkeley, University of California Press, 1980.

[2] Cette affirmation n’est vraie que si, pour simplfier, l’on considère le nazisme comme une forme exacerbée de fascisme. En réalité, on sait que dans ses principes comme dans ses pratiques le fascisme italien est plus éloigné du nazisme, que ce dernier l’est du stalinisme. N’eût été de l’alliance militaire entre l’Italie de Mussolini et l’Allemagne de Hitler, alliance en grande partie conjoncturelle, l’Histoire aurait sans doute portée sur le fascisme italien un jugement un peu moins sévère.

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